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Défricher Laval : un témoignage sur les débuts de la colonisation à Sainte-Brigitte-de-Laval

Photo du rédacteur: Marc GadouryMarc Gadoury

Krieghoff, Cornelius. Settler's House, Laval, 1863 © Art Gallery of Ontario.
Krieghoff, Cornelius. Settler's House, Laval, 1863 © Art Gallery of Ontario.

La colonisation de Sainte-Brigitte-de-Laval, encore embryonnaire vingt ans après l’attribution des premières concessions aux familles irlandaises, se dessine à travers un témoignage rare et précieux. Ce document, intitulé Établissement de Laval et publié dans le Journal de Québec du 3 avril 1851, offre un regard unique sur les premières années de cette communauté en devenir.


Pour situer le contexte, ce texte a été rédigé 12 ans avant l’érection canonique de la paroisse de Sainte-Brigitte-de-Laval (1863) et 24 ans avant sa constitution en municipalité (1875).

Le Séminaire de Québec : un acteur clé de la colonisation

Extrait d’une lettre publiée dans le Journal de Québec le 3 avril 1851. Peu d’informations sont connues sur son auteur, qui se limite à signer par l’initiale C.
Extrait d’une lettre publiée dans le Journal de Québec le 3 avril 1851. Peu d’informations sont connues sur son auteur, qui se limite à signer par l’initiale C.

Le texte brosse un portrait riche des défis religieux, économiques et sociaux auxquels les premiers colons de Laval ont été confrontés, tout en mettant en lumière le rôle crucial joué par le Séminaire de Québec dans cette première phase de développement territorial.


L’importance de cette institution dans l’accompagnement des premiers habitants s’illustre à travers les éléments décrits dans ce récit inédit. Peu d’informations sont connues sur son auteur, qui se limite à signer par l’initiale C.



« Ayant parcouru dans le mois de mars une grande partie de l’établissement en quelque sorte nouveau de Laval, situé dans les profondeurs de l’Ange-Gardien et du Château-Richer, je ne puis m’empêcher de rendre publiques les impressions qui m’ont assiégé pendant ces quelques jours, surtout dans un siècle où l’on parle tant contre la tenure seigneuriale du Bas-Canada.
Je me souviens que vous avez souvent mentionné, dans votre estimable journal, la conduite généreuse et paternelle dont les Révérends MM. du Séminaire de Québec, seigneurs de la Côte-de-Beaupré, furent en maintes occasions envers leurs censitaires. Ce sont les mêmes seigneurs qui étendent leurs mains protectrices et bienfaisantes sur les habitants de Laval.
Cet endroit fut habité voilà quinze ans par une trentaine de familles irlandaises catholiques. La plupart des terres voisines de ces habitations ayant été concédées par des spéculateurs, qui n’ouvraient pas leurs chemins, Laval est resté presque stationnaire jusqu’à ces années dernières alors que l’esprit de colonisation s’est répandu parmi les Canadiens. »

L’auteur note les premières difficultés rencontrées par les colons irlandais, notamment en raison d’un manque d’accès aux infrastructures de base, aggravé par la spéculation foncière. Le Séminaire de Québec, comme seigneur du territoire, cherchera à dynamiser le développement du territoire et à briser son inertie.

 

Des infrastructures comme levier de développement


Le Séminaire de Québec a joué un rôle majeur dans le développement des infrastructures essentielles pour structurer et dynamiser Laval. Le témoignage met en lumière plusieurs initiatives clés :

« Toutefois les seigneurs de la Côte-de-Beaupré avaient dès le commencement donné l’exemple, en défrichant une partie du domaine qu’ils se sont réservé à Laval, et en construisant un moulin à scie pour l’avantage des colons. Voilà neuf ans, ils bâtissaient, à leurs frais, une grande maison du coût d’environ £200 pour servir de chapelle temporaire, et réservaient de plus, pour l’usage du curé, une terre de quatre-vingt-dix arpents.
(…) Les MM. du Séminaire ont ouvert à leurs frais au moins trois lieues de chemins l’été dernier et cet hiver, ils ont bâti sur un bras de la Montmorency, un superbe pont d’une seule arche de 74 pieds, pour lequel ils ont payé à M. Normand de Saint-Roch, la somme de £90. Telles sont les causes, M. le rédacteur, qui ont tout à coup élevé la population de Laval à 84 familles qui y résident actuellement, sans compter une vingtaine de terres qui ont commencé à être défrichées le printemps dernier et sur lesquelles quelques maisons sont déjà construites. »

Ces infrastructures répondent à des besoins fondamentaux :


·       Défrichement des terres, pour accroître la surface cultivable et habitable.

·       Construction d’un moulin à scie, vital pour le développement économique local.

·       Érection d’une chapelle temporaire, qui était située près de l’actuelle rue de la Pépinière, pour assurer la cohésion spirituelle de la communauté.

·       Ouverture de chemins et construction d’un pont, permettant de désenclaver Laval et de faciliter les échanges commerciaux avec les villages voisins.


Concernant ce pont construit d'une seule arche de 74 pieds, le témoignage ne précise pas sa localisation exacte, mais on souligne qu'il a été construit sur un des bras de la rivière Montmorency. Est-ce que ce pont était situé dans le hameau Labranche traversant la rivière de l'Île qu'on nommait sur les premières cartes «la branche de la rivière Montmorency »?


Sur cette carte datée de 1873, dessinée par Nicolas-Venant Lefrançois, l'actuelle rivière à l'Île est désignée sous le vocable « Branche sud-ouest de la rivière Montmorency ».
Sur cette carte datée de 1873, dessinée par Nicolas-Venant Lefrançois, l'actuelle rivière à l'Île est désignée sous le vocable « Branche sud-ouest de la rivière Montmorency ».

Ces investissements stratégiques du Séminaire témoignent d’une vision à long terme pour assurer la viabilité du territoire. Ils répondent également à des intérêts économiques, notamment par l’augmentation de la valeur des terres et la garantie de revenus stables grâce à la présence des censitaires.


Enfin, dans un contexte où les initiatives privées suppléaient souvent aux lacunes des autorités publiques, le rôle du Séminaire apparaît décisif dans l’émergence d’une communauté structurée.


Conflits avec les autorités municipales : un obstacle à la croissance


Malgré l’implication du Séminaire, le développement de Laval a été entravé par des obstacles administratifs significatifs. Un différend majeur avec le conseil municipal siégeant à Charlesbourg est décrit dans le témoignage. Ce conseil imposait aux colons de Laval une charge disproportionnée pour l’entretien des chemins :


« Mais, comme la joie sur la terre est rarement sans chagrin, les habitants de Laval viennent tout dernièrement d’avoir leurs jours de tristesse par une injuste décision que vient de formuler le conseil municipal siégeant à Charlesbourg. De tout temps, le chemin de sortie de Laval avait été par les forêts de la paroisse de Beauport, route que suivent également les gens de Beauport, hiver et été, en nombre considérable pour charroyer une grande partie de leurs bois.
Laval voyant l’état affreux de ces chemins, pétitionna le conseil municipal, offrant d’ouvrir la moitié du chemin et même d’en entretenir une partie, s’il le faut, pourvu que Beauport en fasse autant, et voilà que sans égard aux conséquences ni au droit, le conseil ordonne que l’ouverture et l’entretien de tout le chemin d’une lieue et demie de long soit à la charge des colons seuls de Laval, hiver et été.
Il fallait voir, M. le rédacteur, quel cri d’indignation retentit dans ces endroits a une nouvelle aussi inattendue, quand ils virent qu’on mettait en usage contre eux le droit du plus fort, sans égard à la justice ni à la raison. »

Le conflit souligne un profond décalage entre les attentes des habitants de Laval et les décisions administratives. Ces tensions révèlent :


  • Une responsabilité disproportionnée imposée à une communauté naissante, peu équipée pour y faire face.

  • Une absence de représentation locale, retardant des solutions adaptées aux besoins des colons.


Ce cas illustre les limites des structures administratives de l’époque pour accompagner le développement de nouvelles implantations. Le soutien d’institutions comme le Séminaire de Québec s’est alors avéré indispensable pour équilibrer ces rapports de force et permettre la croissance de la communauté. Autre question soulevée par ce témoignage : pourquoi est-ce le conseil municipal de Charlesbourg qui intervient ici? Il semble que la municipalité de Beauport ne soit pas constituée avant 1855, quatre ans avant ce témoignage, et comme nous l'avons mentionné plus tôt, Sainte-Brigitte-de-Laval n'est pas constituée en municipalité avant 1875. Les affaires municipales de Sainte-Brigitte-de-Laval relevaient donc vraisemblement de Charlesbourg à cette époque.


Une injustice défendue par le Séminaire de Québec


Face à cette injustice perçue comme une menace existentielle, les colons n’ont d’autre choix que de chercher un appui auprès du Séminaire :

« Le premier moment de stupeur passé, il leur fallut chercher à se relever de cet arrêt de destruction, ils voulurent trouver remède à leur affliction profonde : et quelle fût leur première parole, vous le prévoyez d’avance, M. le rédacteur : tous par un mouvement spontané s’écrièrent : "Le Séminaire ! Faisons connaître aux MM. du Séminaire par quels moyens on cherche notre anéantissement Le Séminaire ne permettra pas qu’on arrache le pain nécessaire à nos familles, et que nous soyons obligés une seconde fois d’ouvrir des terres nouvelles dans d’autres parties du Canada. Aussitôt une requête se signe, elle est présentée aux MM. du Séminaire.
Comme la renommée lui avait déjà fait connaître l’étrange décision du conseil municipal siégeant à Charlesbourg, qui ne tend à rien moins qu’à écraser l’établissement de Laval qui commençait à grandir et à prospérer, les messieurs du Séminaire étaient déjà tout prêts à secourir leurs censitaires opprimés, et leur détermination fut telle, qu’ils donnèrent leur aide puissante pour bâtir un pont sur la rivière Montmorency, chose très coûteuse, s’il n’y a pas d’autre moyen de mettre une borne à l’injustice et à la tyrannie.
Je termine, M. le rédacteur, et certainement ce ne sera pas trop avancer que de dire que, si tous les seigneurs en Canada étaient comme ceux de la Côte-de-Beaupré, on ne verrait pas de requête à la législature pour abolir notre ancienne tenure seigneuriale. »

Cette réaction illustre la forte dépendance des colons envers le Séminaire, perçu comme un rempart contre les abus des autorités locales. Cette influence s’étend au-delà de l’accompagnement spirituel et économique : elle devient politique, défendant les intérêts des habitants contre les décisions jugées arbitraires.


Conclusion


Ce témoignage de 1851 illustre les dynamiques complexes de la colonisation à Laval. Il met en évidence le rôle central du Séminaire de Québec, à la fois comme seigneur et protecteur, ainsi que les tensions sociales et politiques propres à cette époque.


Les initiatives du Séminaire ont non seulement permis le développement de la municipalité, mais ont également renforcé la solidarité entre les colons face aux défis économiques et administratifs.


En somme, ce récit témoigne d’une période charnière où la colonisation, soutenue par des institutions locales, constituait une réponse à l’exode rural et aux pressions extérieures, tout en jetant les bases d’une communauté en devenir.


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